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L'écoanxiété, changement climatique et entreprenariat

mars 10, 2023

Apparu dans la presse américaine pour la première fois en 1990, sous la plume de Lisa Leff, The Washington Post, le terme d'écoanxiété a fait une percée dans les médias français en 2019 à l'occasion d'évènements climatiques de forte intensité, tels que la canicule en juin et juillet, et les inondations dans l'Aude à l'automne. C'est aussi l'année où s'est déroulée la grève mondiale pour le climat qui a mobilisé des centaines de milliers d'écoliers en France et en Europe, des millions de jeunes dans le monde.

En septembre 2019, le journal Le Monde mentionnait plus de 5000 évènements sur toute la planète, avec en point d'orgue une manifestation à New York rassemblant plus d'1,1 million d'élèves. The Guardian évoquait un total de plus de 6 millions de participants à travers le monde autour de la grève pour le climat et les "Fridays for future" lancés par la suédoise Greta Thunberg, jeune militante devenue le porte étendard d'une partie de la nouvelle génération, préoccupée par le changement climatique.

Le 14 octobre 2021, l’État français est condamné par le tribunal administratif de Paris pour inaction climatique, dans le cadre de l'Affaire du siècle, initiative portée par 4 ONG, dont Greenpeace et Oxfam France. Le changement climatique, le réchauffement de la planète, la nécessité d'engager une transition de consommation et de production dans nos sociétés occidentales sont devenues des préoccupations courantes et de plus en plus partagées, notamment face à la succession d'évènements climatiques préoccupants pour ne pas dire choquants. La sécheresse de l'été 2022 et la faiblesse du niveau des nappes phréatiques en France à l'heure actuelle, en raison du manque de précipitations de ce dernier hiver, marquent les esprits et titillent le complexe amygdalien de notre cerveau, supposé piloter nos émotions et nos comportements sous stress.


En bref, les préoccupations climatiques se sont accrues, pour devenir un sujet de société récurrent dans les colonnes de nos journaux, et jouer un rôle dans l'orientation et la mobilisation des jeunes, voire des moins jeunes. Alors qu'est-ce véritablement que l'écoanxiété, un trouble psychique de nos sociétés modernes ou une réaction normale et adaptative à une situation de stress chronique ? Quel est son impact sur les comportements, en particulier celui des entrepreneurs et futures entrepreneuses ? Est-elle aujourd'hui un frein ou un moteur vers l'entrepreneuriat ?

S'engager pour et ne plus lutter contre

Théorisée à partir de 1997 par la chercheure en santé publique belgo-canadienne Véronique Lapaige, cette forme d'anxiété relève-t-elle davantage de la psychopathologie ou d'une angoisse lucide et bien réelle face à un avenir incertain dans un environnement dégradé ?

Ecoanxiété, définition et analyse (abrégée)

Objet d'études récent, il conviendra de retenir en préambule qu'il n'existe pas de consensus académique et/ou médical sur cette notion. Elle fait néanmoins l'objet de recherches sur les différents continents de l'hémisphère nord, de l'Amérique du Nord à la Nouvelle Zélande en passant par la France. C'est dire si le phénomène est intrinsèquement lié à l'évolution de notre société occidentale.

Retenons comme définition celle de chercheurs australiens et néo-zélandais mentionnée par Eddy Fougier dans une parution de la Fondation Jean-Jaurès en novembre 2021 : "L'éco-anxiété est un terme qui rend compte des expériences d'anxiété liée aux crises environnementales. Il englobe l'anxiété liée au changement climatique (...) tout comme l'anxiété suscitée par une multiplicité de catastrophes environnementales, notamment l'élimination d'écosystèmes entiers (...), l'augmentation de l'incidence des catastrophes naturelles et des phénomènes météorologiques extrêmes (...)".

Si certains psychologues et psychothérapeutes se spécialisent dans l'analyse et la thérapie de ce type d'angoisse, il est important de noter que pour de nombreux chercheurs cette forme d'anxiété ne relève pas de la maladie mentale ou d'une pathologie mais constitue une réaction normale et adaptative face à une prise de conscience des enjeux environnementaux. Ainsi, pour Alice Desbiolles médecin épidémiologiste française les personnes écoanxieuses sont des personnes rationnelles et lucides. Elle parle d'une anxiété anticipatoire liée à la fin du monde. Et si l'homme a toujours craint la fin du monde - rappelons-nous des angoisses et des élucubrations suscitées par le passage à l'an 2000 - la certitude d'une dégradation des conditions de vie (au sens environnementale) couplée à l'incertitude sur nos capacités d'adaptation à ces nouvelles conditions, constitue un terreau particulièrement fécond pour l'expression de la millénaire peur de l'inconnu chez l'être humain. La psychiatre américaine Lise Van Susteren parle d'un stress pré-traumatique. 


Ce nouveau vocable fait partie d'une gamme complète de néologismes construite pour exprimer le sentiment d'impuissance, de désarroi profond, d'inquiétude, voire de colère que peuvent ressentir les individus face au changement climatique, comme la solastalgie, la collapsologie, la collapsalgie ou la collapsosophie, par opposition à la collapsophobie. Nous n'allons pas faire une analyse détaillée et comparée de ces différentes notions, l'important est de constater que le sujet est une préoccupation croissante dans notre société et s'il on souhaite s'adapter et continuer à vivre et à faire des projets, il est important de comprendre et de lutter contre la paralysie que peut provoquer l'angoisse dans notre cerveau.

L'engagement, une voie de sortie de l'éco anxiété

En situation de stress, l'individu peut réagir de trois manières différentes : la lutte, la fuite, l'inhibition. Dans la situation qui nous occupe, la lutte c'est l'épuisement, la fuite c'est impossible (on ne connait qu'une seule planète habitable à l'heure actuelle), l'inhibition c'est l'inaction et finalement la dépression. Face à l'intensité émotionnelle ressentie par les écoanxieuses, le premier pas est l'acceptation de l'émotion ressentie. Si l'écoanxiété n'est pas une maladie, c'est un trouble sérieux qui peut affecter durablement les individus qui l'expérimentent.

Toutefois, nous sommes pleines de ressources ! L'acceptation permet l'introspection et le repositionnement, ainsi que la remobilisation autour de ce qui peut faire sens pour soi. Il s'agit ensuite d'adopter une stratégie d'action adaptée à ses objectifs et ses attentes.
C'est ce que nous dit Cyril Dion, réalisateur, écrivain et activiste dans ses interviews et à travers le film Demain. «
Nous vivons avec cette mauvaise nouvelle, mais on ne se dit pas que tout est foutu, on fait plutôt en sorte que chaque journée compte et de donner le plus de sens possible à notre existence, d’agir en militant, de se rapprocher de gens qui sont autour de nous, se remettre dans l’instant présent et au final d’être en cohérence avec soi-même ».

Mettre de la cohérence dans ses actions et mobilisations, apporter sa contribution, faire sa part - comme le colibri luttant contre l'incendie de la forêt - est de nature à reconnecter l'individu avec son monde, et à reconnecter l'individu à la capacité d'entreprendre, au sens le plus noble du terme.


L'engagement est ici une manière de redonner du sens à sa propre existence dans un monde, dont nous sommes définitivement certain qu'il est fini. Pierre-Eric Sutter, psychologue du travail, psychothérapeute et philosophe praticien résume cela en trois mots-clés pour sortir de cette anxiété : « Sens, engagement et satisfaction » (Je vous recommande le podcast Grand bien vous fasse !). Or l'engagement est la matière première de l'entrepreneur et quoi de mieux pour réformer le monde que de monter un projet et d'incarner d'autres valeurs ?

L'engagement, la valeur clé de l'entrepreneuriat

Entreprendre c'est prendre les choses en main, mobiliser l'énergie et les ressources nécessaires à l'exécution de son projet, c'est donc s'engager. 

Et si les écoanxieuses faisaient d'excellentes entrepreneures ?

D'après un sondage réalisé par l'Ifop pour Qare publié en 2022, 67% des Français déclarent être affectés par l'angoisse, le stress, la tristesse que l'on rassemble sous le terme d'écoanxiété. Certains disent ressentir une perte de sens et de motivation dans leur vie professionnelle. Les femmes seraient plus touchées par ce phénomène ; chez les moins de 35 ans la proportion atteindrait les 55%. La psychothérapeute Charline Schmerber, fondatrice du Réseau des professionnels de l’accompagnement face à l’urgence écologique (RAFUE), l'explique par le fait que "les femmes ont des comportements plus orientés vers l’action que les hommes : elles ressentent davantage de responsabilité – surtout les mères de famille, qui n’agissent pas pour elles, mais pour leurs enfants – mais aussi de culpabilité".

Si nous avons des comportements plus orientés vers l'action, nous avons donc les ressources nécessaires à l'engagement entrepreneurial. Car entreprendre, c'est quoi concrètement ? Certes c'est tout d'abord identifier un problème, un besoin, un point de douleur auprès d'une clientèle cible et de lui proposer une solution adaptée, mais c'est aussi incarner des valeurs, une mission, une vision pour que l'entreprise apporte un réel changement à ceux qu'elle compte toucher. Entreprendre c'est saisir l'opportunité de construire un projet à sa mesure et de vivre en accord avec ses valeurs. C'est aussi construire une communauté, une communauté de clients, de prospects, d'abonnés, qui partage nos valeurs et qui est prête par ses choix de consommation à aller dans le même sens que nous et à changer le monde pas à pas. Si l'on s'appuie sur les recommandations des psychothérapeutes pour sortir de l'écoanxiété qui sont : accepter ce que l'on ressent, s'engager, vivre en accord avec ses valeurs et partager ses initiatives avec des personnes semblables, alors on retrouve chez la femme écoanxieuse des qualités et la motivation nécessaire à l'entreprenariat. Vivre en accord avec nos valeurs est peut-être le plus beau cadeau que peut nous offrir le projet d'entreprise. La capacité d'une entrepreneuse écoanxieuse, passée à l'action entrepreneuriale, à accepter l'imprévisibilité et l'incertitude, comme celles auxquelles nous devons faire face devant le changement climatique, est une ressource précieuse, voire indispensable, pour affronter les difficultés que connaissent toutes les cheffes d'entreprise et tenir sur le long terme. L'humoriste Marina Rollman décrit les entrepreneurs comme des gens assez fous pour se dire que dans un monde où tout existe déjà ce qu'il manque c'est "LEUR BOITE", je crois que c'est ce grain de folie qui fait la différence.

Construire l'entreprise de demain dans un monde nouveau 🕊️

Si la paralysie de l'angoisse parvient à être dépassée et que l'engagement devient le moteur de l'action, alors les préoccupations climatiques sont sources de mille innovations et mobilisations. A titre d'exemple, le projet Time for the planet rassemble la plus grande communauté citoyenne autour d'un objectif détecter et financer le déploiement de 100 innovations mondiales destinées à lutter contre les gaz l'effet de serre. Le projet rassemble aujourd'hui plus de 110 000 personnes et la communauté continue de croitre. Bon j'avoue, les deux cogérants de la société sont des hommes, et parmi les six fondateurs on ne compte qu'une seule femme. Et c'est pour cela Mesdames les écoanxieuses qu'il y a une place à prendre ou à se faire dans le monde de l'entreprise 😉


La prise de conscience des enjeux climatiques, c'est aussi une merveilleuse source d'avancées dans les entreprises existantes. C'est le développement plus large de la RSE (pour Responsabilité Sociale (ou Sociétale) des Entreprises) destinées à rendre l'entreprise plus écolo. La mise en œuvre d'une stratégie RSE n'est plus l'apanage des grandes sociétés ou des grands groupes. Si l'on peut critiquer vertement (c'est le cas de le dire) le green washing, toutes les initiatives ne sont pas bonnes à jeter : faire son bilan carbone, sensibiliser ses équipes, mobiliser l'intelligence collective pour limiter l'impact de la production sur l'environnement, réfléchir et proposer des solutions nouvelles en termes de mobilité... C'est aussi, pour certaines entreprises, la possibilité de s'engager encore davantage en devenant une société à mission. Introduite par la Pacte en 2019, la qualité de société à mission permet à l'entreprise de déclarer publiquement sa raison d'être en se fixant un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux qu'elle se donne pour mission de poursuivre dans le cadre de son activité.


L'écoanxiété est-elle ou non une pathologie ? Il n'existe pas de consensus sur cette question, en revanche sa transcendance individuelle peut être une formidable motivation pour construire un autre monde. L'entrepreneuriat est-il la solution à tous les maux ? "Joker" mais c'est un véritable outil à la disposition du plus grand nombre aujourd'hui pour tenter de vivre en accord avec ses valeurs et les partager.


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