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Vivre de sa passion, entreprendre avec le coeur

Lorraine Kihl • févr. 08, 2023

Sous prétexte que je travaille dans le domaine de la création d’entreprise, vous vous attendez certainement à ce que je traite cette vaste question sous l’angle pragmatique du marché, de la proposition de valeur ou encore de la cible et des attentes clients. Toutefois, c’est dans un premier temps sous l’angle philosophique que je souhaite aborder la problématique.

Peut-on vivre de sa passion ? Et si on examinait la question sous l'angle de la dialectique - thèse, antithèse, synthèse – et de la dissertation à la française, art d’opposer les arguments contraires et de les réunir dans le dépassement et vers le compromis. Bac philo 2023, vous avez 4h !

Faut-il vivre de sa passion ? Faut-il même le souhaiter ? Est-ce une situation enviable et un objectif atteignable ?

La passion un moteur écologique pour la réussite

Dans une société qui valorise les élans de l’âme et l’accomplissement plein et entier de l’individu, vivre de sa passion est présenté comme un objectif à atteindre. Notre passion serait notre première motivation ou talent, qui, selon l’approche neurocognitive et comportementale, est l’action que je réalise sans fatigue ni lassitude et ce quel que soit le temps que j’y consacre.
Qu’est-ce que la passion ? Pour le Larousse, il s’agit d’un penchant vif et persistant, une inclination irrésistible et violente. Pour les philosophes de l’Antiquité, comme Platon, la passion s’oppose à la raison. Or c’est la vertu de la rationalité qui est alors la caractéristique supérieure de l’individu dans sa pleine réalisation, la finalité étant la maitrise de soi. La raison est située dans la tête, quand la passion se situe dans le ventre. Platon admet néanmoins que la passion bien maitrisée peut se transformer en énergie et se situe cette fois dans le cœur.
Pourquoi la passion est-elle si valorisée aujourd’hui dans le travail, un environnement qui semble au départ si éloigné des désirs profonds de l’individu ?

Une aspiration à l'absence de contrainte et à l'intensité de l'existence

Quand, au VIème siècle avant JC, Confucius encourageait à choisir un travail que l’on aime pour n’avoir pas à travailler un seul jour de la vie, il ne pensait pas nécessairement à la passion car se gouverner soi-même restait un élément de l’accomplissement. Pourtant, nous avons choisi d’interpréter différemment cette injonction aujourd’hui en réunissant passion et travail.
Faire d’une passion son travail c’est se donner les moyens d’un élan et d’une fougue que d’autres, plus raisonnables dans leur engagement, ne sauraient avoir. C’est donner une place plus importante à ses désirs et ses penchants et se donner l’illusion d’une vie sans contrainte, voire sans contrôle sur au moins l’un de ses désirs. Il n’y a plus de retenue. Il y a l’envie de tout donner, de s’investir dans une action dont le sens et la réalisation nous donne pleine satisfaction et nous motive au-delà de la fatigue et de l’atteinte du résultat.
Dans une société où le stress touche neuf français sur dix, vivre de sa passion est une façon de reconnecter l’individu à lui-même. Le développement personnel est valorisé, encouragé, l’accomplissement et l’épanouissement de l'individu, quand d’autres époques de notre histoire ont porté aux nues la dévotion, le renoncement et l’abnégation, sont désormais la quête de chacun.

Vivre de sa passion

Se battre pour vivre de sa passion, surmonter les obstacles, mû(e) par une motivation profonde et sans faille est valorisant. Dans cette démarche, nous sommes reconnus par nos pairs, nos efforts sont loués sans que le résultat soit nécessairement un enjeu fort.
La fougue, la lutte, l’élan sont des attitudes valorisées. « Il défend ses idées avec passion » « il se bat pour ce en quoi il croit » « il est passionné », combien de fois ces mots sont-ils prononcés avec respect voire envie dans l’entourage des plus emportés ?

Une capacité à se dépasser, à aller plus loin

La passion recèle ainsi une capacité à se dépasser. Il y a de la perte de contrôle dans la passion et de la déraison, qui peut donner le courage le plus fou, conduire à soulever des montagnes, mener des actions que d’autres n’oseraient pas engager. Même à l’échelle de l’entreprise, recruter des salariés passionnés par leur métier, c’est se garantir (pour un temps au moins) une équipe engagée, dévouée, qui pourrait accepter davantage d’heures de travail car ce travail n’est pas torture (au sens étymologique du terme) mais amour. Le secteur médico-social a longtemps usé de cet engagement fort de ces équipes pour accomplir un travail dont la rémunération (qui n’est qu’un résultat du travail) était rarement à la hauteur de la tâche.
Au siècle des Lumières, Hegel nous dit que « rien de grand ne s’est accompli dans le monde sans passion ». Comment le fait d’être déraisonnable peut-il nous conduire à accomplir davantage ? Parce qu’il nous permet d’oser, de faire fi des limites et des barrières, de tenter encore et encore jusqu’à parvenir au succès.
Dans une société où la perte de sens au travail est régulièrement pointée du doigt, en particulier par la jeune génération qui arrive sur le marché de l’emploi et n’a pas les mêmes attentes que ses ainés, vivre de sa passion c’est vivre pour ce que l’on est vraiment. Et c’est trouver dans cette réalisation la motivation pour avancer.
Dans un métier comme celui d’entrepreneur où se côtoient si souvent grandes victoires et douloureux revers, être porté par sa passion c’est se donner l’opportunité de tenir plus longtemps et d’aller plus loin, l’élan étant si vif que le renoncement ne peut s’envisager.
Alors oui, vivre de sa passion donne envie. Pourtant, la passion peut-elle durer ramenée dans le cadre d’un environnement professionnel qui nécessairement apportera son cadre et son lot de contraintes ? Et qu’en est-il des passions nocives ? Vivre d’une passion pour l’écriture, pour la musique fait rêver, mais quid de la passion du jeu ou de la boisson ?

La passion à l'épreuve du cadre professionnel

Qui a lu Belle du Seigneur se souvient des rituels introduits par Solal pour entretenir la flamme et préserver la passion amoureuse qu’il vit avec Ariane, pourtant… c’est l’échec et l’ennui qui triomphent. Alors déplacée dans le cadre professionnel, la passion peut-elle survivre ?

Et si je me lassais...

Cette activité refuge que j’exerce à toute heure du jour (ou de la nuit) quand ma routine quotidienne m’en laisse le temps, saura-t-elle tout autant me plaire quand j’aurai introduit dans ma pratique les rituels indispensables à la vie d’une entreprise si petite soit-elle : production, commercialisation, gestion administrative.
Une entreprise pour un indépendant, c’est 40% du temps consacré à la production, en générale le sujet de prédilection, pour 60% du temps consacré au développement commercial – et oui, il faudra toujours trouver des clients, analyser leur besoin, examiner leurs retours, et essayer de vendre encore – et à la gestion – devis, facture, comptabilité (même allégée pour les microentrepreneurs), suivi des indicateurs de performance.
L’écart peut même s’avérer encore plus important pour ceux qui ambitionnent de créer une start-up scalable. La distance parcourue par le dépositaire d’un brevet d’innovation entre le temps passé en recherche et développement (R&D), celui consacré à la levée des fonds nécessaires à l’industrialisation, et la gestion de l’équipe en production, est grande. Elle s'est éloignée de sa passion pour assumer des responsabilités, voire des contraintes. Mais au fait, est-ce que j’aime ça manager une équipe ?
Peut-on vivre de sa passion et se tenir à celle-ci sans la perdre dans les développements futurs de l’entreprise ? Sommes-nous condamnés en tant qu’entrepreneur à devenir les gestionnaires de nos passions ?

Et si ma passion me perdait...

Pour les philosophes classiques, la passion est asservissement. Peut-on gérer ce par quoi l’on est asservi ? Sera-t-on capable de prendre les bonnes décisions de gestion, de percevoir les signes de ce marché qui s’apprête à se retourner, de lire la désaffection du client pour mon offre, que j’ai construite avec la force de la conviction, mais peut-être aussi l’aveuglement de la passion ?
La passion c’est l’absence de maitrise, donc l’obstination au-delà de la raison.
Persuadée que je suis que ce que je fais est épanouissant, pourrais-je supporter que cette passion ne suscite d’intérêt que chez moi et qu’elle ne réponde à aucun besoin client ? Saurais-je renoncer sans souffrance si finalement, ma passion ne me permet pas de vivre comme je l’espérais ?
Appliquée à ma situation, la question est la suivante : je prends plaisir à partager avec vous ce questionnement, pourtant est-ce bien ce que vous étiez venu chercher en naviguant sur ce blog ?

Vivre de sa passion ou la capacité du cœur à construire

Je ne crois pas qu’une vie sans contrainte soit possible. Introduire une passion maitrisée dans son environnement professionnel est une façon de gagner en congruence personnelle et de trouver un équilibre entre le cœur et la raison.

Accepter la contrainte et en faire un atout

Si la passion donne de l’audace et de la détermination à l’entrepreneuse – « avoir le guts » comme disent les québécois (guts = entrailles – on retrouve le ventre de Platon 😉) – elle ne peut ignorer les règles du marché et de l’entreprise.
La première d’entre elle est que mon offre de service / ma passion doit permettre de répondre à un besoin client, elle doit apporter une solution à un point de douleur suffisamment signifiant pour ma cible client, pour qu’il décide d’acheter ce que je lui propose pour résoudre son problème. Si je suis musicien, mon client doit avoir suffisamment envie d’apprendre à jouer de la musique pour être prêt à payer des cours particuliers. Son point de douleur peut être la séduction !
Si je suis passionnée de tricot ou de yoga, alors je dois identifier le point de douleur de mes clients pour pouvoir y répondre par l’une de ces activités : ont-ils besoin de gagner en concentration, de se détendre, de prouver qu’ils savent faire quelque chose de leur 10 doigts… ? A vous de réfléchir.
Se lancer dans une activité passion n’exonère pas de se poser toutes les questions que l’entrepreneur doit se poser sur son environnement et sa rentabilité, et de bien préparer le lancement de son activité, pas tant sur les aspects de production du bien ou du service, mais bien sur les aspects d’analyse et d’étude du marché, de commercialisation, de communication et de gestion.
Pour faire de sa passion son métier, il sera nécessaire de savoir garder un certain recul sur les objectifs à atteindre et les actions à mettre en œuvre pour y parvenir, mesurer le résultat obtenu au regard du résultat obtenu, accepter les remises en question et les échecs, mais la passion conduira à remettre sur l’ouvrage le travail autant de fois que nécessaire pour réussir.

Garder le cap

Si Kierkegaard nous dit que l’« on a plus perdu, quand on a perdu sa passion que quand on s’est perdu dans sa passion », cela signifie qu’il faudra continuer de croire et d’aimer ce que l’on fait pour que la motivation et l’engagement perdurent. Et ce en cas d’échec, comme en cas de succès !
Savoir quelle entreprise on souhaite construire et ce que l’on veut garder comme cœur de métier même une fois atteint le niveau de développement espéré, voire celui que l’on n’osait espérer. Savoir où se situe la création de valeur de notre activité, et notre rôle propre dans cette création de valeur. Si ce que j’aime c’est la production de mon produit ou service, alors cela doit rester mon rôle principal dans l’entreprise.
La passion est un atout puissant pour l’entrepreneur qui saura revenir à sa valeur fondamentale, garder le cœur et lui permettre de s’exprimer dans les méandres du pragmatisme et de la rationalité.

En conclusion, vivre de sa passion...

Alors, oui je crois sincèrement qu’il est possible de vivre de sa passion sans se leurrer sur la réalité que recouvre cette injonction moderne, sans oublier de se préparer à ce nouveau métier d’entrepreneur qui sera le nôtre demain, sans ignorer les réalités de cette fonction et en cherchant à se donner les moyens de réussir une telle aventure. D’aucuns diront qu’un tel engagement est d’abord possible pour ceux qui en ont les moyens, les moyens financiers, les capacités cognitives. S’il est vrai qu’entreprendre comporte toujours un risque, et que cela ne se tente qu’avec une relative sécurité financière au lancement, nous avons la chance de vivre dans une société où il est possible d’être accompagné(e) dans un tel projet, de se former pour être bien préparé(e), de trouver les ressources pour s’adapter à un environnement concurrentiel. C’est pour cela que j’aime mon métier.

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